Pour venger Lulue.

Elle devait avoir la petite quarantaine. Mais avec le physique et l’élégance d’un « agent» du service public, Lulue faisait partie de ces personnes de sexe féminin auxquelles il a toujours été difficile de donner un âge. Elle avait tout de la ménagère de moins de 50 ans, mais elle n’était pas pourvue de ce qui constitue la garantie sociale de la ménagère de moins de 50 ans : le mari.

Lulue était une demoiselle peu aimable.

Elle avait été mutée contre son gré des services compatables parisiens à l’Agence Comptable de La Rebelle que gérait Nikkos. Ce genre de mutation forcée était encore rare,  … Lulue avait du en faire des tonnes. Ou s’être fait un ennemi. Elle se faisait beaucoup d’ennemis. Dès son arrivée dans sa nouvelle affectation elle avait enguirlandé tous ses alter ego et même quelques petits chefs.

Affligée d’un emploi fastidieux à la finalité incertaine, malgré des diplômes équivalents à ceux de ses « encadrant », elle s’était ostensiblement jurée d’obtenir des activités plus intéressantes. Sans doute aurait-elle été soutenue par ses collègues si elle avait daigné les amadouer. Mais visiblement elle en était restée aux certitudes des années fastes où la sécurité de l’emploi qui avait fait jusque là l’intérêt du service public, permettait parfois d’éviter de faire ces simagrées. Elle avait choisi le bras de fer avec sa hiérarchie, et s’imaginait qu’en refusant d’effectuer ce qu’on lui demandait, on finirait – de guerre lasse- par prendre en compte ses « prétentions ». Aux remarques narquoises de ses collègues – ravis qu’elle leur serve de paratonnerre à brimades- elle répondait sèchement : « petite bite ». C’était sans doute bien évalué ( bien qu’elle n’ait sûrement jamais eu l’opportunité de mesurer) mais généralement ce genre d’appréciation est mal vécu par les mâles qui, même vieux, en sont restés à la Guerre des Boutons et à une sensibilité exacerbée dès que les dimensions de leur appendice pénien sont en cause.

Elle se comportait en fait comme une camarade du « syndicat majoritaire » un peu border line. Elle avait seulement oublié qu’elle n’appartenait pas à cette caste d’intouchables. L’importance de ce détail lui avait échappé.

Lui avait aussi échappé aussi dans la foulée des restructurations et nouvelles donnes, le dernier challenge de la Haute Direction : il fallait procéder à un ou deux licenciements pour faute afin de terroriser le personnel, et ce pour permettre de faire évoluer le service public vers une démarche « plus compétitive ». Mais bien sûr, pas question de toucher aux « protégés » du Cocoland …quoiqu’ils fassent. Bref, comme toujours le terrain d’entente serait un « agent » non protégé dont les Camarades accepteraient la mise au pilori de façon tacite, sous réserve que les leurs puissent continuer à narguer la Direction de façon beaucoup plus grave sans rien risquer. …

Dédé l’Empapahouté, grand responsable des Entités comptables au plan national, personnage arriviste et cassant avait donné des directives en ce sens. Nikkos avait tout de suite vu dans le personnage de Lulue une opportunité inespérée de satisfaire son chef. C’était un cas en or Lulue. Pas syndiquée du tout ( pas même chez les minoritaires), mal aimée de ses collègues, sans réseaux… Sans même un mec un peu frustre, du genre à aller coller un pain sans témoins dans la « gueule du connard de chef qui emmerde sa gonzesse »… Le coup était sûr.

Piotr qui avait en charge la responsabilité de la gestion des problèmes liés au personnel sur l’Agence Comptable de La Rebelle, accueillit donc la demande de Nikkos avec le plus grand intérêt. On aurait un licenciement dans sa sphère de gestion des ressources humaines sans que sa responsabilité hiérarchique soit impliquée… Quant à Nikkos, si sa responsabilité hiérarchique était engagée, c’était Piotr qui décidait. Bref une organisation très alambiquée, propice à se décharger mutuellement des responsabilités morales du problème.. il y avait encore tant de sensiblerie dans le petit personnel… Et le Statut était encore en vigueur…

On allait réunir un Conseil de Discipline. Cette instance, aussi vieille que la nationalisation de l’Entreprise, était destinée au départ aux cas graves. Et elle fut longtemps limitée aux cas vraiment très graves (violences isolées, détournements de fonds, malversations)… Sauf bien sûr pour les membres éminents du Cocoland, quand bien même ils avaient molesté des cadres durant les « mouvements sociaux », voire les avoir sequestré, quand bien même ils insultaient leurs collègues non grévistes … C’était un spectacle de représentation pour les « membres de l’équipe de Direction » ravis de pouvoir se la péter grave, se prenant pour des magistrats qui faisaient entrer un accusé, déjà condamné…Il ne s’agissait pas d’une concertation, mais de la râtification d’une décision prise par le Directeur et lui seul. Les Camarades avaient le droit de s’exprimer, ils en étaient même priés, mais leur avis comptait pour du beurre. Ils jouaient néanmoins le jeu…, se prenant pour les avocats. Quand on en arrivait là c’est qu’ils n’étaient pas parvenus à faire arrêter le processus au cours des entretiens préalables.

Pas vachards ni rancuniers, ils tentèrent de sauver Lulue par le biais du filon sanitaire. Lulue était une « pauvre fille » qui avait des « problèmes psychologiques » ( les malades mentaux, les Cocos c’est leur truc ) . Ils avaient sauvé Padraig de peu auparavant persuadant ce dernier de demander un congé sabbatique ( https://helmutetlisa.wordpress.com/les-deux-blaireaux/) . Là, ils ne purent rien faire. Il en fallait un, une….Lulue ne fit pas un pli.

Ceux qui connaissent les précarités de l’emploi privé peuvent trouver ces considérations compassionnelles excentriques. Dans une petite ou moyenne entreprise privée, un perturbateur peut fragiliser l’ensemble et mettre tout le monde en péril, un patron a le devoir de le licencier. D’autant plus si l’argent de l’entreprise est le sien, rien ne l’oblige à nourrir un ingrat qui montre un mauvais exemple. Mais dans le cas du Service Public aux énormes moyens financiers, là où le gaspillage est la règle et où du travail inutile et fastidieux est généré artificiellement afin de justifier des emplois justifiant ceux des petits managers qui les encadrent et recrutés par clientélisme, licencier une femme – seule de surcroît- par seul souci de complaire à une politique perverse, n’a rien à voir.

Helmut et Lisa ne pouvaient laisser passer cela.

Afin de rendre Nikkos ridicule et d’impliquer Dedé son grand chef, Lisa eut l’idée de faire envoyer à ce dernier une demande argumentée de Nikkos visant à obtenir un détachement afin de se consacrer à la gestion estivale d’une des multiples institutions de vacances du Comité d’Entreprise. Un statut particulier octroyait beaucoup d’argent aux organisations représentatives du personnel en vue d’organiser ses loisirs. Il fallait gérer les camping, villages de bungalows et maisons familiales où les collègues pouvaient passer des vacances à prix défiant tout concurrence. Ces structures étaient  dirigées par des agents détachés en ce sens pour ce faire durant un certain nombre de mois. Néanmoins c’étaient des employés subalternes et modestes mais motivés qui étaient volontaires pour ces missions. Pourtant aucune règle n’empêchait un cadre supérieur de se proposer pour le « job ».

En revanche, si la Direction faisait la partie belle aux Camarades en apparence, feignant d’admirer leur implication et leur dévouement à la cause des activités sociales, il allait de soit qu’ils ne partaient pas en vacances ensemble.

Le courrier que Nikkos était supposé avoir envoyé était gratiné. Après avoir évoqué l’affaire Lulue dans une sorte d’acte de contrition, disant regretter de s’en être pris à une pauvre fille sans défense et sans attrait aucun -afin de ne pas la faire soupçonner, les termes employés pour la décrire étaient trop dévalorisants pour émaner d’elle -, Nikkos évoquait un besoin irrépressible de se rendre utile à son prochain. Il finissait en poète, évoquant son désir de se réveiller le matin au chant des cigales… Bref, une rhétorique si éloignée de Nikkos, que Dédé l’Empapahouté ne pouvait qu’y voir un pétage de cable ou un abus de substances illicites. Nikkos néanmoins était supposé écrire pour s’en ouvrir à son « supérieur » avant de remettre sa proposition de service au Comité d’Entreprise.

Pour en rajouter dans le foutage de gueule, Aldo, le bras droit de Nikkos, garçon jovial, bien dans ses baskets, aimable et élégant, envoya lui aussi à l’insu de son plein gré une demande similaire, expliquant qu’il joignait sa demande à celle de son chef dont il ne pouvait se passer. Précisant qu’il avait été GO au club Med dans sa jeunesse, il se voyait bien à nouveau s’investir dans l’organisation des activités ludiques comme ces inoubliables concours de miss tee-shirt mouillé… Cela lui manquait. C’était un peu vache pour Aldo mais Lisa pensait qu’il était le seul dans ce contexte de fous à comprendre le pourquoi de ce canular. Et sa place sur l’échelle hiérarchique lui permettrait peut-être de faire valoir à Dédé l’Empapahouté un point de vue raisonnable.

L’affaire n’eut aucun retentissement au plan local, Dédé l’Empapahouté étant à Paris. Au plan local, Nikkos ne pouvait se plaindre de préjudice d’image, c’eut été reconnaître qu’il prenait les Camarades pour des keikes et qu’il trouvait glorieux d’avoir fait virer une employée parce qu’elle voulait du travail intéressant et utile…Comme les autres victimes du duo infernal, il se trouvait un peu comme le mari trompé qui peut légalement demander un constat d’adultère mais n’a pas envie de faire rire tout le monde à ses dépens…

Personne cette fois-ci n’eut vent de l’affaire, elle était limitée à trois personnes ayant toutes intérêt à ne pas l’ébruiter.  Cependant c’est Helmut qui cette fois ressentit dans les reins comme des coups de pieds, pas très douleureux, mais des coups malgré tout, trois ou quatre jours après avoir posté les courriers de Nikkos et Aldo destinés à Dédé l’Empapahouté.

Il fallut organiser une vacherie de plus pour que Nikkos ne puisse plus cacher que « le malade » s’en prenait aussi à lui, pauvre choux. C’est une autre histoire. https://helmutetlisa.wordpress.com/nikkos-le-bolosse/le-faux-puits-en-pneus/

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